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XXXV L’identité Combien de visages a-t-elle ? Je crois déjà connaître la vraie Nadège parce qu’elle se donne à moi comme je l’ai toujours connue, resplendissante. Mais est-elle réellement ainsi ? N’a-t-elle que deux identités ? Celle qu’elle pouvait présenter sur son lieu de travail et celle que je lui connais ? Kader en connaît une troisième. C’est début 2011, oui, pas avant, quand elle a "enfin" obtenu un poste de vacataire, que je me suis aperçu qu’Amina ne m’avait jusqu’alors montré que son visage d’extérieur. De la même manière, elle m’avait confié que Kagera et Karina la considéraient comme la femme la plus zen qui soit, ignoraient tout de ses angoisses, ses inquiétudes... Comme la Chantal de l’Identité, cette femme gère deux visages. Mais contrairement au personnage de Kundera, contrairement à la majorité des gens, à l’extérieur elle exhibe une face joyeuse, enjouée, compassionnelle si l’occasion se présente ; elle s’étonne ainsi de ressentir de l’animosité chez certains collègues. « Je ne comprends pas pourquoi ils ne m’aiment pas. Je suis pourtant toujours très disponible, aimable, gentille, souriante. Si, ils sont racistes. » Elle ne peut concevoir que son entrain puisse apparaître exagéré, faux, déplacé et manipulateur. Je sais maintenant que ce visage est faux. Alors que je l’avais connu depuis notre rencontre. Seule la colère lui avait parfois donné un autre visage, un troisième visage. Car celui que je croyais réel n’était qu’un simulacre social et j’avais été englobé dans ce simulacre. Son vrai visage est triste. « - Comment veux-tu que je sois heureuse ? Je dois partager mon fils avec son père, je dois travailler, me lever tôt, partir dans le froid. Je dois vivre dans un pays de merde où il fait froid les trois quarts de l’année. Je dois supporter une cantine où l’on sert du cochon, où des collègues amènent du vin et de la bière sur notre table... - Ils te préparent un repas de remplacement, tu ne peux pas te plaindre de la cantine. Et aucun de tes collègues ne t’oblige à boire un verre d’alcool. - Mais il y a l’odeur. Et ce n’est qu’un détail ! S’il n’y avait que cela, je ne me plaindrais pas ! Je vis loin de ma mère, je ne vois pas grandir les enfants de mes frères et sœurs... - Mais tu as enfin l’amour que tu cherchais. - Si tu m’aimais vraiment tu serais musulman et on partirait vivre à Djibouti. - Tu étais française en France quand je t’ai connue... - Mais il n’était pas prévu que j’y reste. Tu sais très bien que j’y suis venue uniquement pour me séparer de Bertrand, pour y passer le concours. Tu sais très bien que mon but était d’obtenir un poste à Djibouti le plus rapidement possible. C’est pour toi que je reste en France. J’ai modifié mes plans pour toi. - En fait, tu n’aimes pas la France. Tu as essayé de profiter de ses largesses, d’obtenir un diplôme français parce qu’il se monnaye à prix d’or au lycée français de Djibouti où notre éducation nationale se croit obligée d’entretenir une équipe d’expatriés pour les enfants de ses militaires. Tu as triché avec le système. Tu t’es faite française pour être considérée expatriée dans ton propre pays ! - J’aime la France. Je suis contente d’être française, d’avoir un passeport français. Mais ce n’est pas un pays où l’on peut vivre. J’ai toujours prévu d’y passer juillet et août, quand à Djibouti il fait vraiment trop chaud. Tu sais bien que c’est pour ça qu’avec Bertrand on a fait construire ce chalet. Mais tu ne comprends pas que je me sacrifie pour toi. Et je suis fatiguée, épuisée. Et tu ne veux rien me donner en contrepartie. Les gens de ce pays sont fous, ils ne font que courir. Il faut toujours courir dans ce pays ! - Surtout quand on veut permettre aux gens de Djibouti de n’avoir qu’à se rendre une fois par mois à la banque pour récupérer l’argent et vivre tranquille. - Si tu veux ! Ma mère nous a élevés. Elle a fait sa part de travail. Elle a bien mérité le peu que je lui envoie. - Si elle ne nourrissait pas vingt personnes avec cet argent, tu lui enverrais cinq cents euros par an plutôt que par mois et elle vivrait décemment avec ce complément à sa "modeste retraite de veuve". - Tu ne comprendras jamais rien à mon pays ! » Que puis-je faire pour elle, je m’étais alors une énième fois demandé. Rien ! Car rien ne peut lutter contre sa réelle tristesse, la nostalgie de "son" pays et la douleur toujours vivace de la mort de son père. Derrière son enthousiasme, c’est un gouffre sombre et hanté. Je ne peux que la distraire et je n’ai pas envie de consacrer des années à remplir un tonneau percé. Elle a besoin de jubiler, comme Carlo lui en donna l’occasion, pour s’oublier. Mais cette femme ne veut pas guérir ! Elle se complaît dans son petit malheur. Donc forcément Dieu existe pour la récompenser ! J’ai cru que l’amour la sauverait mais ce n’était qu’une autre distraction, qui ne pouvait pas durer.

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